Cezanne, pour mieux comprendre les sentiers de la création

Le tempérament à la fois rugueux et raffiné d’un peintre et puis en basse continue, le creuset et les charmes d’une bastide aixoise : les deux commissaires de cette exposition, Bruno Ely et Denis Coutagne cheminent parmi les avancées d’une œuvre forgée dans la solitude.

29/06/2025 | 14h20

Une scénographie aérée, une chronologie souple et des thématiques éclairent les 40 années, jusqu’en 1899, pendant lesquelles les habitants et l’environnement du Jas de Bouffan furent pour Cezanne un point d’ancrage et de création. Tout commence par la reconstitution du Grand Salon du Jas. Grâce à l’assentiment du père de Paul, le chapelier-banquier Louis-Auguste Cezanne dont on aperçoit en deux hauts formats la redoutable silhouette, une remise autrefois vouée aux fruits et légumes de cette propriété devient un très singulier espace d’apprentissage.

Dans cet étrange atelier, le jeune Cezanne accomplit plusieurs mutations. Puisque ce Salon abrite ou bien recouvre des panneaux décoratifs à la façon de Lorrain, des fresques religieuses, un Baigneur expressionniste ainsi qu’une figuration des Quatre Saisons, ironiquement signées Ingres 1811, on saisit à quel point son parcours fut inventif, jamais monolithique : au rez-de-chaussée de Granet, on perçoit la violence native de Cezanne, les irréductibles portraits au couteau ou bien à la brosse qu’il compose à propos de sa mère, de sa sœur et de son oncle Dominique, ainsi que pour ses amis de jeunesse, le peintre Achille Emperaire, le critique d’art Anthony Valabrègue ou bien le géologue Fortunié Marion.

Après quoi, Cezanne maîtrise son énergie, fréquente le Louvre, Pissarro et les Impressionnistes. Son père accepte qu’il travaille dans un nouvel atelier au second étage de sa villégiature. Le Jas de Bouffan est un laboratoire de grande conséquence : toutes les modulations de son œuvre, les paysages, les natures mortes, les portraits et les baigneuses bénéficièrent de l’aura et de l’inflexion de cet endroit.

Miroir sans concession

Simultanément Cezanne interrogeait sans relâche ses pratiques. L’un des leitmotivs de cette exposition est de ponctuer chacune de ses étapes avec un autoportrait. On en découvre sept, ces miroirs sans concession trahissent le courage et les tourments qui traversent celui que Bonnard, Giacometti, Matisse et Picasso percevaient comme le Bon Dieu de la peinture.

Dans d’autres intervalles du parcours de l’exposition, on regarde ensemble les portraits du père et du fils Gasquet, Henri et Joachim. Une séquence réunit des photographies en noir et blanc de Lionello Venturi, John Rewald et Robert Doisneau. Sur le mur qui fait face aux natures mortes on apercevra les usages pendant plusieurs décennies, dans l’atelier des Lauves comme au Jas, du motif d’une figurine d’Amour en plâtre dont Cézanne s’acharna à reproduire les volumes. En compagnie de Bruno Ely on constatera la justesse du rapprochement qui associe les Joueurs de cartes du Louvre et les Joueurs de Mathieu Le Nain du musée Granet que Cézanne contemplait et dont il a pu s’inspirer.

Enfin, pour donner envie de courir voir cette exposition, on signalera l’apothéose des ultimes salles du musée qui livrent hors Jas de Bouffan une fabuleuse concentration de chefs-d’œuvre : entre autres, La Femme à la Cafetière, les Trois Crânes, la Ferme de Bellevue, la Mer à l’Estaque, les Carrières de Bibemus ainsi qu’un Portrait du Jardinier Vallier.

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