[Entretien] Sophie Binet : « Quand on ferme une usine, on élit un député RN »

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sera présente le 3 juillet à Vergèze pour défendre les emplois et soutenir l’industrie.

27/06/2025 | 10h12

La Marseillaise : Vous venez à Vergèze soutenir les emplois menacés à OI, Perrier. Mais ce ne sont pas les seuls menacés dans le Gard. La désindustrialisation revient en France ?

Sophie Binet : Malheureusement Perrier n’est pas un cas isolé. Ça s’intègre dans cette vague de désindustrialisation qui frappe le pays, ça fait un an précisément que la CGT alerte. Nous avons publié notre première carte de France des licenciements en mai 2024. À l’époque, on recensait 130 plans de licenciements. Aujourd’hui on doit être pas loin de 400 plans de licenciements. Le problème, c’est que nous avons vu défiler trois Premiers ministres différents et à chaque fois on leur a remis cette liste. Pas un seul Premier ministre n’a levé le petit doigt pour mettre en place un plan de bataille pour empêcher cette désindustrialisation.

Pourtant, l’État pourrait agir ?

S.B. : Il y a plein de leviers qui sont à leur disposition. La première chose qu’il faudrait faire, c’est d’activer des cellules au niveau des préfectures pour qu’on puisse alerter et avoir un cadre de dialogue pour aider les entreprises en difficulté sur chaque territoire.

Je rappelle qu’un plan de licenciement pour passer a besoin d’être homologué par les services de l’administration du travail. Donc, le ministère pourrait donner comme consigne de ne pas homologuer ces plans dès lors qu’il y a des dividendes distribués ou des aides publiques touchées par exemple. Le gouvernement pourrait conditionner les aides publiques, il pourrait décider de mobiliser tous les instruments qui sont à sa disposition : la Banque publique d’investissement, l’Agence de participation de l’État, la Caisse des dépôts et consignations pour pouvoir - à chaque fois que c’est nécessaire - être partie prenante de projets de reprise.

Si on laisse faire cette désindustrialisation, d’abord c’est une catastrophe sociale : il n’y a pas pire violence sociale que le chômage. Ce sont des territoires dévastés, des familles brisées, des vies anéanties parce que personne - contrairement à ce que raconte le gouvernement - ne choisit d’être au chômage et donc aujourd’hui, si je suis très en colère, c’est que le gouvernement et le patronat font le choix du chômage.

C’est aussi une catastrophe industrielle avec des savoir-faire et un outil productif qu’on est en train de perdre. Ça ne se reconstruit pas d’un coup comme ça. C’est pour ça que la CGT demande notamment de mettre en place un moratoire de six mois sur les licenciements et se laisser le temps de trouver les solutions alternatives.

Cette casse sociale est-elle le résultat des huit années de mandat de Macron ou elle prend ses racines avant ?

S.B. : Il y a une série de facteurs : il y a une situation économique avec des problématiques nouvelles. Mais on peut faire le bilan des 8 ans, même 10, de la politique de l’offre, commencée sous François Hollande. Ça coûte un pognon de dingue puisque c’est cette politique de l’offre qui est responsable aujourd’hui du déficit public. Ce déficit n’est pas lié à des dépenses qui ont explosé mais à un manque de recettes. Un manque de recettes parce qu’on a baissé les impôts des entreprises et qu’on a augmenté les aides aux entreprises qui atteignent plus de 200 milliards chaque année consentis sans condition.

Il y a eu aussi des réformes violentes qui ont été faites au service de cette politique de l’offre pour soi-disant doper la compétitivité de nos entreprises. Notamment deux réformes du Code du travail en 2016 et 2017. Ces réformes ont considérablement facilité les licenciements : aujourd’hui il n’y a pas besoin d’avoir de motifs économiques et on peut licencier en distribuant des dividendes. C’est ce qui se passe avec tous les grands groupes. Enfin, troisième grand pilier, on a eu à encaisser des réformes violentes en matière de chômage ou de retraite. Ce qui est un scandale puisqu’on nous dit qu’il faut travailler 2 ans de plus alors qu’on sait bien que quand on est licencié à 55 ans jamais on retrouve du travail ou en tout cas pas avec le même niveau : des boulots précaires, moins bien payés. Le niveau à la retraite est donc dégradé.

Un des résultats de cette casse sociale est la montée de l’extrême droite...

S.B. : Exactement, c’est d’ailleurs pour ça que la CGT mène tout son plan de bataille sur les questions d’emploi, c’est parce que nous savons qu’avec cette politique de licenciements le gouvernement déroule le tapis rouge à l’extrême droite. Quand on ferme une usine, quand on ferme un service public, on fait élire un député d’extrême droite. C’est quasiment mécanique malheureusement.

Solvay, Perrier, des entreprises se cachent derrière des scandales sanitaires pour justifier des licenciements. Est-ce un phénomène nouveau ?

S.B. : C’est un énorme problème et un énorme scandale. La CGT se bat pour qu’on arrête de mettre en opposition la question sociale et la question environnementale. Ça nécessite de donner des droits aux salariés, d’anticiper et de sécuriser. Nous, ce que nous disons c’est qu’il faut maintenant se poser la question pour anticiper et se donner les moyens dans trois, quatre, cinq ans de changer les process de production pour pouvoir produire sans Pfas. Et les directions refusent systématiquement d’anticiper parce que leur seul objectif c’est de maximiser leur chiffre d’affaires et qu’elles savent que les risques seront assumés uniquement par les salariés. Ils nous forcent à choisir entre nos emplois et la pollution. Mais on ne veut pas choisir. On veut aussi avoir un travail qui ait du sens, produire des produits de qualité qui répondent aux besoins sociaux et environnementaux. Ce que nous disons aussi, c’est que pour répondre au défi de la désindustrialisation, il faut une planification environnementale et industrielle. On a besoin d’un grand plan de bataille pour relocaliser la production, pour relocaliser l’outil de production. Dans un contexte de guerre commerciale relancée, c’est le moment de relocaliser notre activité de production et donc nous pensons qu’il faut mettre en place des droits de douane qui soient modulés en fonction des normes sociales, environnementales et fiscales pour protéger notre outil de production. Dans le même temps, il faut planifier la transformation environnementale pour que notre industrie réponde aux besoins sociaux et environnementaux.

OSZAR »